Le Pesto de Gênes

Le Pesto de Gênes

La ville de Gênes, autrefois appelée « La Superbe », doit son nom à la divinité à 2 visages Janus. Car comme lui, elle a 2 « faces », l’une sur la mer, l’autre sur la montagne, au cœur de la Ligurie.

Epousant harmonieusement les courbes de la côte, la ville offre un grand nombre de délices : de la friture de petits poissons à la fougasse (la focaccia). Côté montagne, là où elle devient plus abrupte et tourmentée, on y déguste champignons, légumes des potagers en terrasse qu’on appelle « fasce », et plantes sauvages avec lesquelles on prépare de délicieuses tartes salées.

C’est ici que j’ai fait la connaissance de l’une de mes nombreuses « mamans ». Je me souviendrai toujours du parfum de basilic qui sortait de la cuisine et de cette femme si souriante. Le temps d’un café et nous avions l’impression de nous connaître depuis toujours. Et malgré une certaine différence d’âge, notre amitié n’a pas pris une ride et dure depuis 20 ans.

Dans la cuisine de « la Mari », il y avait des livres de poésies de Neruda à côté d’un verre dans lequel elle mettait des fleurs ou du persil.

Malgré une famille nombreuse, elle n’était pas maniaque et tolérait une dose de désordre, un savant mélange de dessins d’enfants et de broderies au point de croix inachevés qui me faisaient sentir comme chez moi.

« La Mari » ne possédait pas de potager. Mais en Ligurie, on exploite le moindre balcon, jardinet ou pot pour faire pousser du basilic. Marie avait aussi sa plante de basilic dans un coin ensoleillé du petit jardin, qui, à cause de la structure des maisons de la région, a toujours des allures de mouchoir de poche arraché à la roche. Le basilic de Ligurie a des feuilles rondes et charnues. Et les génois ne les laissent jamais trop grossir, afin que le goût ne devienne pas trop fort une fois que les feuilles ont été pilées : « pestate ». C’est pourquoi Maria cueillait les feuilles tantôt à la base de la plante tantôt au sommet de la plante. Les génois sont connus pour leur parcimonie presque excessive, mais en réalité ils ne veulent rien gaspiller de leur terre rocheuse, battue par le vent et si difficile à cultiver.

Dans le passé paysan de toutes les régions italiennes, on se devait d’être des consommateurs prudents et grands connaisseurs des cultures locales afin de mettre la famille à l’abri des rigueurs de l’hiver ou d’imprévus désagréables.

Mais malgré cette attitude un peu renfermée, les génois ont le sens de l’hospitalité. Ainsi, chez Maria le nombre de convives n’était jamais certain. On disait en effet que sa maison était « un port de mer », ouverte au premier ami, pèlerin ou chat désireux de partager un repas. Et il fallait bien avoir quelque chose à lui/leur servir, n’est-ce pas ?

La Recette

Dans les après-midis d’été, on lavait ensemble de grandes quantités de feuilles de basilic, on épluchait des gousses d’ail pendant qu’elle me parlait des mauvaises notes de ses enfants et moi je lui racontais mes déboires amoureux, impossibles à confier à ma propre mère.

Nous ajoutions ensuite des pignons (pour leur côté oléagineux et savoureux), du sel, de l’huile d’olive extra vierge que l’on versait lentement jusqu’à obtenir une consistance crémeuse. On remplissait des petits pots puis on allait se reposer sous la glycine de son adorable patio.

Photo: Stan Ford et son amie "la Mari"

Le Pesto est une sauce froide qui se conserve longtemps au réfrigérateur (ou un an au congélateur).

Recouverte d’huile d’olive, il suffira de la tiédir avec un peu d’eau chaude. Quelques cuillerées suffisent à assaisonner une bonne quantité de pâtes en y ajoutant un peu de parmesan.

C’est la raison pour laquelle Maria ne se faisait pas de soucis lorsque l’un de ses enfants débarquait à l’improviste avec quelques amis. « Au pire », il y avait toujours des pâtes au pesto.

Le pesto aussi, tout comme sa ville, a ses propres contradictions. Du moins en apparence. La plante de basilic aime l’eau et la chaleur de l’été, la saison idéale pour la préparation du Pesto. Mais pour ce faire, il ne faut pas faire chauffer ses feuilles. C’est la raison pour laquelle on les pile à la main avec un pilon en bois dans un mortier en marbre.

Mais mon amie Marie, avec ses 4 fils, 2 chats et un mari, ne pouvait certes pas se permettre de piler le basilic à la main. C’est pourquoi elle plaçait le bol du mixeur au réfrigérateur pendant quelques heures pour en refroidir les lames. Elle mixait ensuite le tout par intermittence. Autre astuce : elle n’ajoutait jamais le parmesan dans le pesto si elle voulait le conserver longtemps. Car le fromage se conserve moins longtemps. Elle l’ajoutait alors au moment de servir les pâtes au pesto.

Si on veut préparer un vrai plat typique, on peut utiliser des pâtes courtes de Ligurie, le « trofie », avec des pommes de terre à l’eau et des haricots verts en petits morceaux. On peut aussi consommer le Pesto sur une tranche de pain à l’apéritif, avec un verre de vin, ou en ajouter un peu dans une soupe de légumes moulinés, sur la pizza, pour mariner des plats à cuire au four ou farcir des tomates cerise. Le Pesto aime se marier avec d’autres saveurs, à vous d’explorer de nouvelles recettes !

Au cours des nombreuses années passées chez Maria, j’ai pu découvrir quelques secrets. Comme le gâteau de pesto, ricotta et parmesan que Maria préparait quand elle n’avait pas eu le temps de faire les courses ou qu’elle les avait oubliées, absorbée par un roman de Proust. On quittait sa maison l’âme et le corps rassasiés, parce que pour les génois, le Pesto c’est comme l’amitié : il faut savoir le doser, on le fait à partir de saveurs fortes et douces, on le conserve longtemps, mais, surtout, on en garde toujours en réserve. Parce que dans les moments difficiles, les bonnes choses simples et les bons amis sont toujours là. Et on ne sait jamais qui vient dîner. N’est-ce pas ?

Qui est Stan Ford ?

« Il est deux choses dont je ne me lasserai jamais : faire de nouvelles rencontres et explorer la richesse de la gastronomie italienne.

J’ai toujours considéré que la cuisine italienne était la façon la plus instinctive de communiquer, de demander pardon, d’espérer, d’être certains que l’on se reverra tous autour d’une bonne table. J’ai eu la chance d’être accueilli dans de nombreuses familles italienne, et, dans mon pays, cela signifie passer du temps dans la cuisine avec les mamans, les grands-mères, les amies à parler de la vie, des rêves, de politique ou d’amour, pendant que l’on prépare le repas, qu’il soit frugal ou copieux.

C’est tout cela que je souhaite partager avec vous, à travers mes récits et mes recettes. Car il suffit d’un peu de bonne huile d’olive du paysan, ou de légumes du potager, pour nous sentir heureux malgré tout. Je suis tel que vous me voyez : impétueux comme la mer, solide comme un olivier, généreux comme nos campagnes et authentique comme nos saveurs. »